ArnaudDemortiere-04.jpgLes nanoparticules, de part leur taille et leur réactivité, pourraient être amenées à poser des problèmes pour la santé et l'environnement. De nombreux travaux portent à l'heure actuelle sur la toxicité intrinsèque potentielle de ces composés (nanoparticules métalliques ou argileuses, nanotubes de carbone, etc.). Le risque posé étant fonction de la toxicité intrinsèque des matériaux et de leur exposition, le seul moyen d'utiliser les nanomatériaux de manière responsable consiste pour le moment à éliminer l'exposition des organismes et de l'environnement aux nanomatériaux.

De nouveaux matériaux nanocomposites apparaissent de manière continue sur le marché. Ces derniers sont formés d'une matrice classique (ciment, polymères, etc.) renforcée par l'ajout de nanoparticules afin de donner au composé final de meilleures propriétés : résistance, conductivité, propriétés optiques, etc. L'utilisation de nanoparticules peut aussi entraîner une réduction du coût énergétique de fabrication, prolonger la durée de vie des matériaux ou encore faciliter leur recyclage.

Par exemple, les travaux d'Andrew Whelton de l'University of South Alabama concernant les canalisations d'eau et les emballages alimentaires. Ces derniers sont maintenant constitués de nanocomposites à base de polymères et de nanoparticules d'argiles - Polymer Clay NanoComposite - qui renforcent le matériau, évitent la combustion et préviennent les échanges de gaz. La libération potentielle de ces nanoparticules dans l'eau ou la nourriture n'a pas encore été étudiée de manière approfondie et il n'existe que peu de données pour statuer sur la sûreté de ces nanocomposites. Pour Whelton, il y a urgence étant donné qu'une grande partie des canalisations d'eau doivent être remplacées aux Etats-Unis dans les prochaines années.

Les nanoparticules sont normalement piégées dans la matrice. L'environnement et les conditions d'utilisation ou de traitement en fin de vie de ces nanocomposites - abrasion mécanique, lavage, diffusion dans la matrice, combustion, etc. - peuvent éventuellement entraîner la libération de nanoparticules. Une session de la conférence Nanotech 2011 a permis de présenter différents travaux réalisés sur cette question.

La dégradation par abrasion

François Tardif, responsable du Laboratoire nanoChimie et sécurité des Nanomatériaux (LCSN) au Commissariat à l'Energie Atomique, étudie la libération des nanoparticules par abrasion mécanique. Il utilisait un processus standardisé, l'abrasion Taber, pour analyser les conséquences d'une abrasion mécanique sur des crèmes solaires, des peintures ou encore des tissus contenant des nanoparticules d'argent. Il était assez rare de détecter des nanoparticules libérées. Etaient-elles bien accrochées ou la méthode d'abrasion était-elle mal adaptée ? Pour tester la seconde hypothèse, Tardif a modifié l'appareil afin d'augmenter les forces de frictions.

Ses travaux sont parvenus à mettre en évidence que des particules d'une taille proche de 200 nm déposées sur une surface peuvent être libérées lorsque l'on applique une force de friction suffisante. Cependant, étant donné leur taille, ces dernières se trouvent généralement accrochées à la surface par des forces électrostatiques de Van der Waals. Elles ne peuvent ainsi pas être libérées. L'appareil standard ne fourni pas les micro-chocs d'intensité suffisante pour parvenir à arracher les particules de la surface. Cette situation montre qu'il est difficile de libérer des nanoparticules même lorsqu'elles sont simplement déposées sur une surface. Cela pose notamment le problème de savoir si une surface, une paillasse de laboratoire par exemple, est propre puisqu'il est difficile de récolter les éventuelles nanoparticules qui s'y trouveraient.

La dégradation photochimique

Tinh Nguyen du National Institute for Standards and Technology (NIST) travaille sur les nanocomposites ayant comme matrice des polymères. Ces derniers sont photosensibles et se désagrègent lorsqu'ils sont exposés aux ultra-violets. Or, les polymères sont une matrice de choix, par exemple pour les matériaux composants les pales des éoliennes. Nguyen dispose d'une chambre de rayonnement qui permet d'exposer les nanocomposites à une intensité d'UV correspondant à 22 soleils, ou encore 40 années d'ensoleillement en Floride, afin de simuler le vieillissement de ses matériaux.

Dans l'étude qu'il a présentée, Nguyen analyse le vieillissement d'une matrice de polymères contenant des nanotubes de carbone à multifeuillets. Au final, après 43 jours d'exposition intense, le matériau à perdu 1% de sa masse. Sa surface laisse apparaître de nombreux nanotubes, normalement inclus dans la matrice de polymères. Cependant, Nguyen n'a mesuré aucune libération de ces nanotubes. Il semble qu'au fur et à mesure que la matrice de polymères se dégrade, les nanotubes sont découverts. Comme ils sont longs, seule leur extrêmité se trouve ainsi exposée. Ils forment alors un film protecteur qui vient prévenir une dégradation plus avant de la matrice, stoppant ainsi le processus. Par contre, exposés ainsi, ils peuvent être plus vulnérables à une abrasion mécanique. Une telle situation illustre la complexité du problème à traiter. Les dégradations peuvent être diverses et combinées mais les chercheurs doivent s'employer à les étudier séparément.

Pour essayer de résoudre ce paradoxe Wendel Wohlleben de BASF a présenté ses travaux sur l'effet combiné de plusieurs dégradations - utilisation normale, forte abrasion mécanique et érosion naturelle - sur différents matériaux [1]. Les résultats qu'il obtient montrent que l'utilisation normale des nanocomposites ne conduit à aucune libération de nanoparticules. L'érosion naturelle des composites contenants des nanoparticules de silice ne rejette rien non plus. Pour ce qui est des nanotubes de carbone, Wohlleben arrive aux mêmes conclusions que Nguyen. La forte abrasion mécanique entraîne la mise à nue des nanotubes de carbone mais il semble qu'ils restent intégrés à la matrice à au moins plus de 95%. Cette technique entraîne plutôt la création de microparticules dans lesquelles les nanomatériaux sont toujours inclus.

La dégradation par combustion

Charles Motzkus du Laboratoire National de Métrologie et d'Essais (LNE) et Dominique Fleury de l'Institut National de l'EnviRonnemnet Industriel et des riSques (INERIS) travaillent sur la possibilité de libération de nanoparticules par combustion des nanocomposites. Cette question est essentielle étant donné que de nombreux matériaux sont valorisés en fin de vie par combustion dans le but de produire de l'énergie. La combustion modifie les propriétés chimiques et physiques des composés et peut conduire à des résultats très divers en fonction de la nature des comburants.

Motzkus a montré que des nanoparticules sont libérées lors de la combustion mais que tous les paramètres - nature des nanoparticules, nature de la matrice, mode de combustion - entrent en jeu dans le processus. Il poursuit donc ses travaux afin de pouvoir isoler plus précisément l'influence de ces différents paramètres. Fleury de son côté observe la libération de nanotubes de carbone lors de la combustion des nanocomposites en contenant. Cependant, il n'a pas réussi à mettre en évidence de manière claire l'origine de ces nanotubes. S'agit-il de nanotubes libérés ou de nanotubes se formant lors de la combustion ? Il semble par ailleurs qu'une partie des nanotubes soit aussi détruite. Les expériences de Fleury sont pour le moment qualitatives et, pour répondre à ces interrogations, d'autres travaux sont nécessaires.

Le rôle des agences fédérales

Les agences fédérales suivent ces questions de près. Treye Thomas travaille pour la Consumer Product Safety Commission (CPSC) [2]. Cette agence a été créée en 1973 en lien avec la Food and Drug Adminstration (FDA) par le Consumer Product Safety Act. La CPSC a pour but de réguler un vaste éventail de produits : jouets, appareils électriques, matériaux de construction domestiques, etc. Depuis quelques années, ses capacités n'ont cessé de progresser. Elle dispose de nouveaux laboratoires afin de pouvoir tester les produits dont elle est en charge. Elle ne délivre pas d'autorisation de mise sur le marché mais réalise des contrôles a posteriori. Les industriels ont donc la responsabilité de s'assurer que les produits qu'ils produisent sont sûrs.

En 2005, la CPSC avait énoncé que ses lignes de conduite étaient efficaces pour prendre en compte les nanomatériaux. Depuis l'agence a rejoint le programme fédéral National Nanotechnology Initiative et poursuit des travaux de recherche sur la sureté des nanomatériaux en collaboration avec la FDA et le National Insitute for Occupationnal Safety and Health (NIOSH). La question qui se pose pour l'agence est de savoir quels sont les produits qui contiennent réellement des nanoparticules parmi ceux qui l'annoncent. Ces travaux ont ainsi pour but de s'assurer que les produits sont correctement étiquetés et que le consommateur est bien informé.

 

SOURCES:

TechConnect World Conference 2011, 13-16 juin 2011, Boston, Massachusetts - http://www.techconnectworld.com/World2011/


Vincent Reillon, deputy-phys.mst@consulfrance-houston.org

Retour à l'accueil